Le cœur des ténèbres. Joseph Conrad

18 juillet 2023

Elle s’avança,  tout en noir , la face pâle comme flottant vers moi dans le crépuscule . Elle était en deuil. Il y avait plus d’un an qu’il était mort : plus d’un an depuis que la nouvelle était arrivée, mais il apparaissait bien qu’elle était destinée à se souvenir et a pleurer toute la vie . Elle prit mes deux mains dans les siennes et murmura :  » J’avais entendu dire que vous viendriez…  » Je remarquai qu’elle n’était pas très jeune.  J’entends qu’elle n’avait rien de la jeune fille . Elle avait, de l’âge mur toutes les aptitudes à la fidélité, à la foi, à la souffrance. La pièce s’était faite plus obscure , comme si toute la triste lumière de cet après-midi couvert se fut réfugiée sur son front. Cette chevelure blonde , se pâle visage, ce dur sourcil, semblaient comme enroulés d’un halot cendré d’où les yeux sombres me devisageaient

 Leur regard était innocent profond, respirant la confiance et l’invitant à la fois.  Elle portait sa tête meurtrie, comme si elle eut été fier de sa meurtrissure. Comme si elle eut voulu dire :  moi seule sait le pleurer comme il le merite! Mais tandis que nos mains se touchaient encore, un air si affreux de désolation passa sur sa face que je compris qu’elle n’était point de celles dont le temps se fait un jouet. Pour elle, c’est hier seulement qu’il était mort. Et vraiment, l’impression fut si saisissante qu’à moi aussi, il semblait n’être mort qu’hier, que dis je? à l’instant même. Je les vis l’un et l’autre au même endroit du temps : la mort de celui-là et la douleur de celle-ci . Je vis quelle avait été sa douleur : je revis quelle avait été sa mort. Comprenez moi, je les vis  ensemble, je les entendis en même temps. Elle m’avait dit, avec un sanglot profond dans la voix : « J’ai survécu !… » et cependant, mes oreilles abusées croyaient entendre distinctement, mêlé à ses accents de regret tragique, le murmure decisif par quoi l’autre a prononcé son eternelle condamnation. Je me demandais ce que je faisais là, non sans un sentiment de panique dans le coeur comme si je m’étais fourvoyé en quelque region de cruels et absurdes mystères interdits aux mortel »

Bisalamoureternel

ou Bisopoisoneternel!